« C’est bien, parfois, quand la vie n’est pas occupée à faire d’autres plans que les nôtres. » Anna Roy.
Je l’ai précommandé avant sa sortie, je ne voulais pas manquer la lecture du nouveau livre d’Anna Roy.
À travers un podcast et ses apparitions sur les réseaux, je l'avais entendue parler du sujet qu'elle y abordait : comment elle était devenue obèse et avait décidé de se battre contre son addiction au sucre.
Chaque fois qu’elle apparait à l écran ou que j’écoute cette femme, elle me fait l’effet d’une immense puissance et d’une criante sensibilité à la fois.
Ce que j’aime, c’est qu’elle ne soit pas langue de bois, qu’elle dise les choses comme elles doivent être dites, même celles qu’on ne veut pas entendre.
Je l’admire aussi parce que son travail auprès des femmes est profondément humain, bienveillant et authentique.
Pourtant, je me suis souvent posé cette question, comment une femme aussi intelligente, belle, talentueuse et reconnue peut-elle être devenue obèse? Comme si cela ne pouvait pas aller ensemble.
Parce que oui, je me suis longtemps représenté l’obésité comme quelque chose de triste, traduisant l’échec, l’abandon.
Ceci peut vous paraitre jugeant, je le reconnais, mais posez-vous honnêtement la question, quelle est votre représentation de l’obésité? Quel effet a-t-elle sur vous?
Depuis longtemps, je comprends que c’est bien plus complexe que cela n’y paraît.
Pas un seul être humain ne se se ressemble, chaque individu est le fruit d’une histoire et la tristesse ou l’échec n’ont pas toujours la même forme. Il y a des des personnes obèses bien dans leur peau et d’autres personnes considérées minces ou « normales » malheureuses ( j’entends par « normale » la norme dictée par des injonctions sociétales).
À la seule différence que nous ne leur portons pas le même regard.
Le rejet est souvent l’expression d’une peur, Anna l’aborde très bien dans son livre, il y a des sujets qui font si peur qu’on préfère les ignorer…drôle d’accord avec soi-même, et pourtant.
L’accompagnement thérapeutique
En naturopathie, le bilan de vitalité repose sur l’observation et l’étude morphologique à partir desquelles est déterminé le tempérament de la personne à l’instant T. Cette observation est associée à un échange au cours duquel nous tentons de comprendre les besoins de la personne et si son mode de vie actuel répond à ces besoins.
Mais ce n’est pas si simple, il peut être difficile de changer ses habitudes de vie, quand bien même elles soient la sources de profonds déséquilibres. Il faut y aller en douceur, surtout lorsque les habitudes sont bien installées.
« côté nutritionnistes: Je leur ai précisé que c’est à partir de 17h que plus rien ne va : je prends un goûter, deux pâtisseries un chocolat chaud, des tartines…et c’est le début de la fin. Je ne pense désormais plus qu’au dessert.
À partir de là, je ne m’arrête plus. J’ingurgite du sucre jusqu’au moment du coucher en continu.« Il faut réduire. Juste un goûter et un dessert, c’est bien. ». Ils n’entendent pas que je ne peux pas. J’acquiesce poliment. « Ça fera 70 euros. »
Quel temps et quel argent perdu. »
J’ai souvent entendu lors de ma formation que « c’est la dose qui fait le poison », je ne suis pas d’accord, cela ne vaut pas pour tout.
Dans certaines situations de vulnérabilité, de fragilité ou après des traumas, difficile de trouver en soi les ressources pour refréner ce qui peut pousser jusqu’à l’addiction et l’autodestruction.
Le récit d’Anna est celui d’une autodestruction, jusqu’à sa prise de conscience, le choc, la violence de la réalité en pleine face.
Ce livre est aussi venu me rappeler mes limites, en tant que naturopathe, face à certaines problématiques liées à l’alimentation et à la perte de poids.
Bien que l’accompagnement naturopathique soit efficace, il peut aussi arriver qu’il ne soit pas suffisant. Peut-être faudra-t-il aussi un accompagnement psy, une thérapie, ou même une prise en charge médicale et médicamenteuse. Bien sûr, tout dépend de la situation.
J’ai vécu ces situations dans ma pratique : même lorsque le problème est identifié, il m’est parfois difficile de savoir comment accompagner au mieux la personne sur le long terme.
Les limites de cet accompagnement se dessinent avec chaque client, parce que chaque personne est unique, avec son histoire et les raisons qui l’ont poussé à consulter. Chaque situation nécessite un ajustement ; en fonction des personnes, de leur problématique, leurs besoins et les méthodes qui seront les plus adaptées.
Je pense qu’il faut savoir reconnaître ses limites en tant que thérapeute et avoir le courage de dire à un client que cette seule prise en charge ne suffira pas. Que ce sera peut-être long et difficile, mais que nous sommes la pour la soutenir. Si cette personne est venue vous voir, elle a déjà fait un pas.
Ce n’est pas qu’une question de volonté. Notre rapport à l’alimentation est entremêlé avec notre histoire personnelle ; ce rapport va bien au-delà de la volonté.
C’est l’addiction, dont je remets volontairement ici la définition : « Dépendance très forte (à une substance nocive) entraînant une conduite compulsive. »
L’addiction est compulsive ; compulsion : « Force intérieure par laquelle le sujet est amené à accomplir certains actes et à laquelle il ne peut résister sans angoisse. » Tout est dit.
L’addiction ne s’invente pas du jour au lendemain, elle s’installe sur de longues années avant d’être identifiée. D’où la nécessité de ne pas rester seul, c’est là où toute prise en charge thérapeutique fait son sens, quelle qu’elle soit, elle sera le point de départ.
Il faudra ensuite du temps pour s’en défaire, chercher la.les raison.s qui a.ont été le point déclencheur.
C’est l’approche causaliste de la naturopathie, celle d’aller chercher la cause de la cause de la cause.
Le sucre ce fléau
Le livre dénonce un coupable qui fait beaucoup de victimes sans être jugé à la hauteur des dégâts qu’il cause : le sucre.
Je suis de celles qui pensent qu’il constitue une véritable addiction, et qu’il opère gentiment, sans qu’on ne s’en méfie, car le sucre, comme dit Anna, c’est mignon.
« Le sucre n’est pas seulement légal, il est surtout extrêmement valorisé. C’est l’enfance, la gourmandise, le rituel, la nostalgie, le partage. (…) manger du sucre c’est adorable et mignon. Le sucre c’est le truc le plus mignon de l’histoire des addictions. C’est fou qu’un truc aussi mignon puisse être à l’origine d’autant de difficultés, de maladies et de souffrances. »
Sa consommation mondiale ne fait qu’augmenter :
« Un enfant de 8 ans a déjà mangé plus de sucre raffiné que ses grand-parents n’en ont consommé de toute leur vie ! » (Documentaire Arte « Sucre, le doux mensonge », avril 2020)
Aujourd’hui il est partout, dans les préparations salées, dans les produits « healthy » jetez un oeil aux étiquettes, c’est devenu monnaie courante… Plus le produit est transformé, plus il y en a. Pire encore, une étude récente a prouvé que c’est dans les produits les moins chers (pour un produit équivalent, ex un pot de mayonnaise) que se cachent le plus de sucres ajoutés.
L’augmentation de sa consommation est corrélé à l’augmentation des maladies dites de « civilisations », celles qui sont arrivées après la révolution industrielle (qui a impacté les modes de consommation de notre société.).
Plus de la moitié des décès dans notre pays est due à ces maladies de l’abondance.
Ces décès sont majoritairement liés à 4 types de maladies : Les maladies cardio-vasculaires (hypertension, artériosclérose, etc.). Les maladies du métabolisme (diabète, obésité, etc.) Les maladies auto-immunes et de I’immunité (hépatites chroniques, rhumatismes inflammatoires, allergies de toutes sortes, etc). Et enfin les maladies dégénératives (rhumatismes, affections neurologiques et sensorielles et cancers, etc.).
Ces 4 types de maladies sont en partie liées à notre mode de vie et notre environnement.
L’épigénétique est la science qui étudie l'impact de l'environnement sur l'expression des gènes. Ce que l'on mange, boit, l'air que l'on respire, notre niveau de stress... peuvent modifier l'expression et le fonctionnement des gènes dont on hérite à la naissance.
Et si l’on ne peut pas agir sur les gènes dont nous avons hérité à la naissance (notre identité génétique), il en est tout autre pour l’épigénétique qui est façonnée tout au long de la vie.
Les recherches menées aujourd'hui permettent de mieux comprendre les mécanismes à l'origine des maladies. Ces maladies qui sont liées à notre environnement seraient donc en partie réversibles.
UNE LECTURE dont on ne sort pas la même
Ce que je préfère dans la lecture c’est qu’elle ne fait pas le même bruit que les images, les mots pénètrent tout de suite dans le coeur. L’écriture a un immense pouvoir, celui de pouvoir être relue autant de fois qu’on le souhaite.
Dans ce livre, j’ai relu à plusieurs reprise certains passages…j’ai aussi corné beaucoup de pages.
Anna s’y met à nu, elle dit tout sans retenue, ses pensées sont livrées sans filtre, sans tabou.Certaines pages me retournent le bide.
Je ne pouvais pas terminer cette lettre sans aborder le sujet du viol. Il est au coeur du livre.
J’ai grandi avec l’idée que le viol n’était que celui qu’on voyait dans les films : l’inconnu qui nous attrape dans la rue. Cette forme de viol est en réalité la moins répandue.
J’ai moi-même été frappé de cette réalité lorsque j’ai commencé les consultations et du nombre de femmes me révélant les agressions sexuelles qu’elles avaient subies dans leur vie.
Ce qui m’interpelle encore plus, c'est leur point commun : la culpabilité éprouvée par ces femmes.
« Et puis c’est la deuxième fois, pas de hasard, ma petite Anna, tu as bien ce que tu mérites après tout. T’avais qu’à moins sortir, te voilà bien punie. Mes violeurs ont triplement gagné : ils ont eu mon corps, mon silence, et ils ont aujourd’hui ma culpabilité. Celle de n’avoir même pas réussi à me considérer comme une victime. »
J’ai deux filles… merci Anna pour ton témoignage et merci à toutes celles qui ont le courage de porter leur voix et la vérité. Ce sont des messages essentiels, puissants.
Bref, vous l’aurez compris, ce livre m’a profondément touché, en tant que femme, en tant que thérapeute et en tant qu’humaine. Il raconte notre société, ses violences, ses dérives. Il raconte aussi la fragilité, la vulnérabilité, sans aucun faux semblant.
La plume d’Anna m’a boulversé, elle donne à la fois une lecture de la vie dans ses côtés crus et ses injustices.
Mais elle témoigne aussi d’une magnifique résilience celle d’un chemin de guérison.
Cette lettre se termine ici comme elle a commencé : « C’est bien, parfois, quand la vie n’est pas occupée à faire d’autres plans que les nôtres. »